1870


carte postale rozelieures
"(...) Cher papa, je t'envoie cette carte pour te faire souvenir des prussiens de 70 car ils devaient avoir le casque à pointe comme aujourd'hui. Ce sont des prisonniers."
Maurice Bach, 30 novembre 1914

"Nous allons défiler à Metz, je ne suis plus en Prusse. Je suis passé à Sarreguemines, Sarrebrück, St Avold et ces jours-ci à Metz. Je t'envoie une carte, vue ancienne de 1870, qui pourra te faire plaisir, souvenir de ton passage de guerre".
Maurice Bach, 04 janvier 1919

"Toi, mon cher papa, tu dois connaître ce pont car il existait en 1870 où (sic) tu as fait tes campagnes".
Maurice Bach, 24 janvier 1919


soldats français en 1870 à Metz
Pierre Bach, le père de Maurice Bach (notre petit chasseur de Verfeil), a fait la guerre Franco-Prussienne de 1870 dans l'armée de Bazaine.
Il a 22 ans lorsqu'il est affecté dans l'armée du Rhin française. Dirigée par le maréchal Bazaine, cette armée rencontre le 16 août 1870 les prussiens de Von Moltke sur la route entre Metz et Verdun. Après ce premier contact avec l'ennemi, les troupes françaises se replient à l'ouest de Metz, vers St Privat. Le 18 août, Von Moltke lance ses prussiens à l'assaut et écrase l'armée du Rhin. La bataille de St Privat fait 12 275 tués, blessés ou disparus chez les français; 20 160 tués, blessés ou disparus chez les prussiens.
Le lendemain, l'armée de Bazaine se replie sur Metz et se retrouve complètement encerclée. Le siège de Metz débute. Le blocus prussien tient bon : la population messine mange du rat, l'armée mange ses chevaux. Le siège de Metz fait 38 000 morts et blessés parmi les troupes françaises; il se finit le 27 octobre 1870 par la rédition de Bazaine. Les 142 000 soldats de l'armée du Rhin sont fait prisonniers. Après sa détention par les Prussiens, Pierre Bach retourne à sa vie de paysan dans le sud du Rouergue.
Il racontera plus tard "sa" guerre de 70 à son fils.




Le tour de la France par 2 enfants Le souvenir de la guerre de 1870 est donc bien présent dans l'esprit du jeune Maurice Bach, par l'histoire de son père, mais aussi par l'écho que lui en donne son livre de lecture à l'école : "le tour de France par deux enfants" de G.Bruno.

Dans cet ouvrage, André (14 ans) et Julien (7 ans) Volden, deux Lorrains orphelins quittent Phalsbourg (en Moselle, donc en territoire Allemand) afin de rester Français et entament un voyage qui les amènera aux quatre coins de la France.

La guerre, et ses conséquences, est souvent évoquée :
"On se trouvait alors en 1871, peu de temps après la dernière guerre avec la Prusse. A la suite de cette guerre, l'Alsace et une partie de la Lorraine, y compris la ville de Phalsbourg, étaient devenues allemandes; les habitants qui voulaient rester Français étaient obligés de quitter leurs villes natales pour aller s'établir dans la vieille France." (p.9)

La mort accidentelle du père est indirectement liée à la guerre : "Depuis la guerre, sa jambe blessée au siège de Phalsbourg n'était plus solide : il est tombé d'un échafaudage (...)" (p.8)

Quant à la famille qui les héberge la première nuit, "le père et la mère Etienne avaient cruellement souffert des malheurs de la guerre." (p.12) "(...) ils sont très gênés, car ils ont perdu toutes leurs économies pendant la guerre (...)" (p.264)

Le reste de l'ouvrage est parsemé de pareilles évocations : "(...) pauvre maison! Elle est presque démolie : il y a des places où il ne reste plus que les quatre murs tout noirs avec des trous de boulets. Je vois qu'on s'est battu ici comme chez nous (...)" (p.294) .
"Si la guerre a rempli le pays de ruines (...)" (p.295)
"Et tout dernièrement encore, enfants, rappelez-vous que Paris, mal approvisionné, souffrant de la faim et du froid, a resisté plus de quatre mois aux Allemands (...)" (p.277)
"Depuis la dernière guerre, Frantz songeait souvent au pays. Il se disait tous les jours : Mon ainé doit être bien malheureux là-bas car il a subi les misères de la guerre et des sièges." (p.178)
"Peu de nations ont éprouvé un plus grand désastre que la France en 1870 (...)." (p.298)


Le sort de la population des territoires devenus allemand est expliqué : "Nous avons beau être sur le sol de la France, cela ne suffit pas aux Alsaciens-Lorrains pour être regardés comme Français; il leur faut encore remplir les formalités exigées par la loi dans le traité de paix avec l'Allemagne." (p.211)

Le patriotisme est exacerbé, et l'on affirme l'attachement de la France aux territoires perdus :
"En groupant ainsi toutes les connaissances morales et civiques autour de l'idée de la France (...)" (préface)
Les deux enfants sont de "pauvres orphelins, pauvres enfants de l'Alsace-Lorraine." (p.169).
La Lorraine est "la terre natale devenue une terre étrangère." (p.271)
"O chère France! Tu es bien malheureuse en ce moment, mais tu dois pourtant être fière de voir que, si jeunes, et pour rester tes fils, nos enfants montrent le courage des hommes." (p.12)
"Brave et chère jeunesse, murmurait-il, va, cours porter à la patrie des coeurs de plus pour la chérir" (p.15)
"les enfants d'une même patrie doivent s'aimer et se soutenir comme les enfants d'une même mère" (p.13)
"est-ce que tous les Français ne doivent pas être prêts à se soutenir entre eux?" (p.14)
"il crut entendre encore ce mot plus faible qu'un souffle passer sur les lèvres paternelles : France. Et lui aussi le redit tout bas ce mot : France! patrie! Et il se sentit honteux de son découragement" (p.23)
(...) la Lorraine est placée sur la frontière française : nous sommes donc, nous autres Lorrains, comme l'avant-garde vigilante de la patrie." (p.58)
"je vous donne ce livre : il parle de la France (...) il y a des histoires et des images qui vous instruiront et vous donneront, à vous aussi, l'envie d'être un jour utile à votre patrie." (p.102)
"Vive la patrie française! (...) quand il s'agit de l'aimer ou de la défendre, tous ses enfants ne font qu'un coeur." (p.191)
"Ils songèrent à la France; ils étaient heureux de lui appartenir et d'avoir une patrie." (p.270)

L'évocation de la conquete de la Gaule est l'occasion de faire des parallèles avec la guerre de 1870 : "Alésia, assiégée et cernée par les romains, comme notre grand Paris l'a été de nos jours par les Prussiens (...). C'est comme à Phalsbourg, où je suis né et où j'étais, quand les Allemands l'ont investi. J'ai vu des boulets mettre le feu aux maisons. (...) Laquelle voudriez-vous avoir en vous, de l'âme héroïque du jeune gaulois (Vercingétorix) défenseur de vos ancêtres, ou de l'âme ambitieuse et insensible du conquérant romain?" (p.135-136)

On précise que "la guerre ne laisse que deuil et misère", mais on rajoute "Néanmoins, quand la Patrie est attaquée, c'est à ses enfants de se lever courageusement pour la défendre; ils doivent sacrifier sans hésiter leurs biens et leur vie." (p.293).
monument aux morts 1870
carte patriotique

Bref, ce manuel scolaire (par ailleurs très bien fait et intéressant) entretient le souvenir de la défaite de 1870.
Mais si l'on cultive ce souvenir, on décrit aussi les horreurs de la guerre, et l'on n'évoque jamais l'idée de reprendre les territoires perdus!
On comprend mieux aussi à cette lecture l'ancrage dans les esprits de l'idée du devoir envers la Patrie.


  petit lexique...
Jean Jaures opposait souvent dans ses discours les termes "patriotisme" et "nationalisme" (lire "Jean Jaures, discours et conférences" Thomas Hirsch, éd. champs classiques Flammarion 2011 et "à bas la guerre!" Jean Jaures, éd.l'esprit du temps 2014) Outre l'idéologue politique que l'on connait, Jaures était aussi un philosophe, les mots qu'il emploie reflettent des idées bien précises. Prenons le temps d'éclaircir cet antagonisme de termes : PATRIOTISME signifie "amour de la patrie" (Larousse 2008). C'est aussi le terme employé pour et par les français révolutionnaires de 1789 : "les patriotes". NATIONALISME signifie "prééminence de la nation par rapport aux intérêts des groupes, classes ou individus qui la constitue" (Larousse 2008). En cette fin de XIXe-début XXe siècle, les socialistes sont d'ardents patriotes, en opposition avec les nationalistes d'extrème droite. Pendant la guerre, on peut se poser la question sur l'idéologie prônée sous le vocable de "patriotisme"!.


SOMMAIRE SUITE