MOURIR À ROZELIEURES (François Teysseire)


carte postale rozelieures "(...) Nous creusons des tranchées de quatrième ligne. Je te quitte dans l'espoir de te revoir bientôt. Mes bons souvenirs à toute ta famille. Ton ami qui ne t'oubliera jamais.
Felix Batut, 16 juillet 1915
P.S. : J'ai trouvé deux cartes de Rozelieures, elles peuvent faire plaisir à tes parents. Tu les leur donneras. Je les soumets à ton bon vouloir, je voudrais pas les chagriner".


François Teysseire est né le 10 février 1890 à Montalzat (Tarn et Garonne). De la classe 1910, il a fait deux années de service militaire, puis est retourné chez lui vivre sa vie de paysan du sud-ouest.
Il a 24 ans, ce 02 août 1914, lorsque la mobilisation est lancée. François doit rejoindre son régiment, le 15ème Régiment d'Infanterie, à Albi. Du 02 au 06 août, le 15ème R.I. se forme : il faut bien 5 jours pour rassembler tous les hommes, le matériel et les chevaux!
Le 08 août, tout le 15ème embarque dans le train direction Montpellier : 62 officiers, 3310 biffins (soldats du rang) et 164 chevaux et mulets, tout cela s'entasse dans les wagons SNCF (c'est le même wagon standard que l'on utilise pour les hommes ou les animaux, on peut lire à droite de la porte coulissante "hommes : 40, chevaux: 8"). A Montpellier, le convoi remonte vers le nord, direction la Lorraine. Le 08 août, le 15ème R.I. débarque à Mirecourt (au sud de Nancy) : c'est le premier contact -lointain- de François avec la guerre : on entend le canon au nord-est, en direction de Nancy et Luneville.

Les biffins vont maintenant user leurs godillots sur les routes en se portant vers l'est. Le 15ème est en queue de division, le temps est chaud, la troupe -fraiche- marche sans difficulté. On se dirige vers la canonnade que l'on entend sans cesse à Luneville et Baccarat. Après un premier cantonnement au sud de Lunéville, la troupe pousse encore plus vers l'est. Le 16 août, le 15ème R.I. s'installe à Igney (petit village au sud d'Avricourt). L'armée française a réussi une percée en Lorraine allemande et le régiment est appelé en soutien aux troupes qui partent au combat. On marche toujours vers l'est : Foulcray, le bois de Rechicourt, Gondrexange, Dianne Capelle. Le 19 août, en fin de journée il cantonne sur le canal des houillères, un canal qui remonte vers le nord à travers les bois et les étangs.

Le 20 août sera un triste baptême du feu pour les jeunes soldats : au matin le régiment prend la droite du canal et monte vers le nord à travers les bois en direction de Mittersheim. Le bataillon de tête est immédiatement pris sous le feu des fusils ennemis. Les Allemands sont invisibles : ils tirent d'un bois tout proche. Les officiers appliquent alors la tactique en vogue à l'époque, et suivent consciencieusement le règlement de manoeuvre :
"L’attaque implique de tous les combattants la volonté de mettre l’ennemi hors de combat en l’abordant au corps à corps et à la baïonnette." (Règlement de manoeuvre d'infanterie, 1914).
"Article 313. L'attaque implique de la part de tous les combattants la volonté de mettre l'ennemi hors de combat en l'abordant corps à corps à la baïonnette. Marcher sans tirer le plus longtemps possible, progresser ensuite par la combinaison du mouvement et du feu jusqu'à la distance d'assaut, donner l'assaut à la baïonnette et poursuivre le vaincu, tels sont les actes successifs d'une attaque d'infanterie. Article 330. Dès que le moment de l'assaut devient proche, la baïonnette est mise au canon. Entraînés par les officiers et les gradés, les tirailleurs prennent le pas de course et se jettent, baïonnette haute, sur l'adversaire au cri de "En avant, à la baïonnette !" Les tambours ou clairons sonnent ou battent la charge." (Règlement de manoeuvre d'infanterie, 1913).

Comme à la manoeuvre donc : les bataillons s'alignent, baïonnette au canon, chargez, officiers en tête... une fois, deux fois, trois fois... trois charges à la baïonnette à travers champs en fixant des yeux les bois d'où partent les coups de feu meurtriers. 3 officiers sont tués, 164 soldats sont tués ou blessés. Sonne alors le replis; on laisse sur le champs de bataille les corps des camarades tombés. "Malheureusement, un grand nombre de nos blessés ont dû être laissés sur le terrain" (J.M.O.). Le 15ème doit se replier en urgence vers l'ouest, traverse Desseling, Fribourg, Azoulange et arrive le soir à Maizières.
La contre-offensive allemande se poursuit, poussant la troupe jusqu'au sud de Lunéville, Gerbeviller, Clayenne. Les 23 et 24, le 15e cantonne à Froville, petite bourgade à l'est de Rozelieures.
trajet du 15eRI

l'Euron, Rozelieures Après les combats du 20, les soldats savent maintenant à quoi s'attendre.
On les réveille le 25 août en pleine nuit, ils se mettent en marche à 2 heures du matin pour aller à Borville (à l'est de Rozelieures). A midi, le régiment reçoit l'ordre de traverser l'Euron et d'attaquer Rozelieures occupé par les allemands. Les rafales d'artillerie sont d'une violence extrême et sont accompagnées d'une fusillade incessante. Les allemands sont invisibles, dissimulés dans des tranchées et derrière les meules d'avoine. Comme lors du combat sur le canal des houillières, on est fauché sans avoir vu un seul casque à pointe ou le feldgrau d'un uniforme. De plus, "la troupe est désorientée car de nombreux officiers sont tués" (J.M.O.). On persiste dans la boucherie, on confirme le massacre.
Le 15ème R.I. ne peut atteindre Rozelieures et doit se replier un peu plus au sud dans le bois de Lalau (L'à l'eau). Il faudra attendre le secours des chasseurs (2èmeBCP et 6èmeGCC) pour retourner la situation. (voir le chapitre "les cyclistes en Lorraine").
A 18 heures, le régiment se remet en marche, traverse l'Euron et se reforme sur l'autre rive. La troupe reformée monte alors vers le village de Rozelieures lorsqu'un puissant feu d'artillerie retentit : ça vient de la gauche, de la 31e division française... et les obus s'abattent sur le rassemblement du 15ème R.I., tuant ou blessant un grand nombre de soldats et créant une panique indescriptible! Après les obus allemands, c'est les obus français qui fauchent par erreur les hommes. L'ordre est donné de remonter au plus vite vers le bois de Filière, au dessus de Rozelieures. Le bois est traversé dans l'obscurité et la cohue, et la troupe se reforme le lendemain -26 août- à Moriviller où un officier consciencieux établit la liste des tués, blessés et disparus:
5 officiers tués (8,1%), 15 blessés (24,2%); 192 soldats tués ou disparus (5,8%) et 443 blessés (13,4%).

François Teysseire, paysan du sud-ouest, simple soldat du 15ème R.I. fait parti de ces "disparus", corps anonyme laissé sur le champs de bataille.
Il faudra attendre 1920 pour qu'il soit officiellement reconnu comme "tué à l'ennemi".
Sa famille a fait poser une plaque commémorative au cimetière de Montalzat, son corps est resté quelque part à Rozelieures.
carte d'Etat Major acte de deces

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