dans les tranchées des Vosges


les Vosges en 15 "(...) le front des Vosges tenait grâce aux chasseurs alpins, toujours vigilants sur les cols et qui se faisaient tuer pour empêcher toute agression allemande. (...) Les lignes du front étaient donc fixes. A peine, de temps en temps, quelques rectifications : on prenait çà et là un piton verdoyant ou rocheux que l'on perdait le lendemain. Manifestement, les Vosges n'étaient pas le secteur crucial du front. Les engagements de troupes y étaient relégués au dernier rang des communiqués. On pouvait y survivre à la petite semaine." Pierre Miquel, la Grande Guerre au jour le jour p.32.


des diables bleus dans les Vosges...

Juillet 1915. Maurice Bach est au 6e BACP (Bataillon Alpin de Chasseurs à Pied, appelés les "diables bleus"). Après les affrontements en Belgique fin 1914, la plupart des chasseurs cyclistes du 6eGCC ont rejoint les bataillons de chasseurs alpins .
Dans ce secteur des Vosges -ReichakerKopf, SattelKopf, BraunKopf, Metzeral- les chasseurs cantonnent à Wida, Sillaker, Schissroth ou Gashney, à peine à deux ou trois kilomètres des lignes allemandes gardées par les Bavarois et les chasseurs Prussiens. Deux ou quatre compagnies (sur les six du bataillon) se relayent sur les tranchées de première ligne. Les chasseurs améliorent les tranchées, font des patrouilles, observent les mouvements ennemis, font des gardes sur les postes avancés.

"(...) Mais moi j'ai jamais eu bien peur, étant donné ce qui m'est arrivé étant sentinelle : une patrouille vient, je les tiens en écart. J'ai toujours eu mon sang froid." 19 novembre 1915, Maurice Bach.

Un secteur calme...

Quelques échanges de coups de fusils, quelques bombardements... voilà ce qu'on appelle un secteur "tranquille".
Les extraits suivants du JMO du 6e BACP donnent une idée du quotidien des soldats :

du 24 au 30 juillet : Cantonnement-bivouac aux camps de Sillaker et Schissroth. Le bataillon exécute des travaux d'organisation d'une seconde ligne de défense (...) au fond du ravin d'Altenhof.
du 06 au 16 août : Le bataillon fait mouvement le 6 août pour aller relever dans le secteur Braunkopf le 23e bataillon de chasseurs. Il y a 4 Cies en première ligne, 1 Cie en réserve à Metzeral et 1 Cie au Bois Carré. (...) Pendant cette période l'ennemi n'a montré aucune activité, les journées et les nuits sont calmes. Pertes : 3 tués, 2 blessés.
06 septembre : Journée et nuit calme. L'ennemi semble travailler la nuit et n'envoie pas de patrouille. Le bataillon travaille à l'organisation défensive du Reichacker.
07 septembre : Journée calme dans le secteur occupé par le bataillon. Un bombardement de 77 vers 17h sur un boyau entre Sattel-Bas et Reichacker. Nuit sans incident. Pertes : 1 blessé.
08 septembre : Journée et nuit calme. Continuation des travaux d'amélioration du secteur. L'ennemi montre une certaine activité. Pas de perte.
14 septembre : Journée et nuit calme. Bombardement du col du Sattel vers 15h par 8 obus de gros calibre. 2 blessés.
15 septembre : La journée, quelques coups de fusils sur quelques uns de nos travailleurs. A 19h50 fusillade assez vive de part et d'autre. Aucune perte.
19 septembre : Pendant la journée l'ennemi a bombardé la gauche de nos tranchées de première ligne par du 77. 1 blessé grave à la 2e Cie.
23 septembre : Journée et nuit calme. Bombardement sur le Reichacker. Une bombe lancée sur la Cie de réserve du Reichacker a blessé 2 sous-officiers et 7 chasseurs.
26 septembre : Journée calme au Reichacker. Tempête et pluie assez forte pendant toute la journée et la nuit. Travaux de réfection et de déblaiement des boyaux.
02 octobre : Journée et nuit à peu près calme. Dans la soirée les allemands lancent au Reichacker 4 bombes de minenwerfer qui tuent un chasseur et en blessent deux autres. Pendant la nuit, nos patrouilles sont rentrées ne signalant aucun travail nouveau ni mouvement suspect de l'ennemi.
19 octobre : Rien d'anormal à noter (...). Vers 15h au Reichacker des allemands montés dans un arbre tuent un chasseur de la 6eCie. Vers 16h ils bombardent avec un minenwerfer léger un groupe de travailleurs : un tué, le lieutenant Daladui (6eCie) blessé. Entre 21 et 21h30 manifestations dans les tranchées allemandes, cris, chants, arrêtés par un tir de notre 65 d'artillerie de montagne. Reste de la nuit calme.


Les territoriaux (Régiment d'Infanterie Territoriale) sont présents aux côtés des chasseurs pour effectuer les travaux de terrassement.
"Deux mots pour te dire que la compagnie étant rentrée cette nuit des tranchées, aujourd'hui nous avons repos complet et cela ne me dérange pas du tout pour me reposer du voyage. Demain je crois que nous irons faire quelques petits travaux avec le génie." 24 mai 1917, Xavier Perry, 84e RIT (en poste un peu plus au sud au Taneck et à Thann).
le reichackerkopf

carte postale humoristique vivre dans les tranchées...

"Les boches manquent de pommes de terre et mangent du pain k.k. Avec tous les jeux qu'il y a sur la carte vous devez comprendre que les poilus ne s'embêtent pas. Patience, on les aura (les poux) c'est sûr. Cette nuit ils avaient peur que nous ayons froid, ils ont allumé la ville à coups de canons. Au revoir quand même."
11 mai 1916, Raymond Robert
(n.d.r. : les poux sur le soldat de droite sont rajoutés au crayon par Raymond; le "patience on les aura" fait référence au "courage on les aura" de Pétain le 10 avril 1916)


Le froid, la pluie, la boue... Les poux, les rats... La lassitude

"Je peux vous dire qu'ici nous sommes toujours bien nourris et puis nous couchons dans des lits très bons, ce que je n'avais pas vu depuis six mois. Je voudrais pouvoir rester ici jusqu'à la fin de la guerre mais tout ça est impossible."Xavier Perry-29 janvier 1915
"Ce soir nous allons en première ligne pour douze jours comme toujours. Il pleut continuellement et en même temps il fait froid." Felix Batut-14 juin 1916
"Le temps est bien rude : pain et vin, tout gèle. Il serait a désirer que ce soit les boches qui gèlent avec leur gouvernement et peut-être comme ça nous en aurions fini. Quand est-ce que nous redeviendrons voisins à Montalzat?" Felix Batut-3 février 1917



Dans ce secteur des Vosges, les tranchées allemandes sont à une centaine de mètres, parfois quelques dizaines. Cette proximité, vécue au quotidien et sur de longs mois, donne un caractère particulier à la guerre.

On sait que l'on peut sauter dans la première ligne adversaire en cinq minutes (voir l'attaque du 20-21 juillet 1915 au chapitre "offensive au ReichackerKopf"). Alors on fortifie les défenses et on se surveille.
Cela donne lieu aussi à des épisodes de fraternisation avec l'ennemi : Maurice racontait que certains jouaient même aux cartes avec les allemands... Puis chacun repartait dans sa tranchée. Bien sûr, tout cela était très mal vu des officiers!
Il avait aussi pris l'habitude de chiquer, l'incandescence de la cigarette étant trop visible dans les tranchées de première ligne et les postes avancés.
Maurice disait que lorsqu'un soldat levait la main au dessus du parapet, il recevait une balle... et dans les deux camps on se rendait "ce service". C'était la blessure qui permettait de s'éloigner du front quelques temps.

Même lorsqu'il n'y a pas de fraternisation, il existe souvent une entente tacite pour ne pas se tirer dessus :
"Hier au soir nous avons pris les tranchées, et je crois que nous y sommes pour 7 ou 8 jours. Le secteur a l'air bon, les Boches ont l'air bien sages et s'ils continuent, nous n'allons pas les taquiner" Xavier Perry-24 mars 1917
"Je peux vous dire que les Boches sont toujours bien tranquille dans le secteur où nous sommes, et nous les y laissons." Xavier Perry-2 juin 1917
carte postale Quand c'est le tour de la compagnie d'aller au cantonnement, on s'occupe à faire de l'artisanat de tranchée : les objets de guerre deviennent des objets civils.
"Gilda me dit si ses bagues, elles sont finies. Vous lui direz que oui, ainsi que j'ai fait un porte-plume avec des cartouches bôches, mais ces cartouches coûtent des fois à prendre." Maurice Bach, 19 novembre 1915.
Les soldats font aussi des achats : cartes postales, alimentaire... Le prix du pinard (le vin), dont on fait une forte consommation en ce début de siècle, est régulièrement noté par Maurice :
"nous sommes rentrés au village avec un copain pour boire un litre que nous avons payé 1 franc le litre, et ici que nous sommes bien plus haut dans l'est, nous le payons 0,80 le litre" (Maurice Bach, sans date)
"ma santé va très bien, mais c'est juste que je dépense un peu plus d'argent que quand j'étais en tranchées, car le vin est excessivement cher" (Maurice Bach, au repos à Remiremont 19 novembre 1915).
Lorsque le 6e BACP part pour le front d'orient pendant 6 mois, Maurice reste dans ce secteur des Vosges au 46e BACP (bataillon de réserve du 6e BACP). Après une période de repos à Remiremont du 10 au 28 novembre, il retrouve le front et ses tranchées, du BraunKopf au ReichackerKopf. Remiremont
publicitéle pain dans les tranchées ci-contre :
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parue dans l'Illustration 11 septembre 1915.
Le pain KK, source de jeux de mots en Français, est le pain de guerre allemand : Kriegs Kartoffel brot (selon certains, Kleie Kartoffeln brot).




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